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Editorial

        La pluridisciplinarité est-elle possible?
Décembre 2010

 

            Sur une radio publique française, un dimanche à l'heure du midi-deux, je tombe sur une émission épatante. Son sujet est variable, mais toujours abordé par des spécialistes d'horizons très divers, qui apportent chacun leur point de vue sur le sujet en question.

Là, j'ai un peu raté le début, mais cela parlait de "design", et de la façon de rendre les objets ou le monde dans lequel on vit, plus efficace. Le lien entre les deux n'était pas très clair pour moi, mais ce n'est pas le problème. Ce qui m'a un peu étonné, c'est la présence d'un astrophysicien célèbre qui a été interrogé plusieurs fois sur le côté élégant et harmonieux de l'Univers. Comme d'habitude sur ce genre de sujet, les tirades métaphysiques, philosophiques et grandiloquentes ont abondé, il est en effet de coutume de s'extasier sur la magnificence de l'Univers sans jamais se poser de questions sur son fonctionnement: là, ça deviendrait trop barbant.

Notre astrophysicien est donc parti sur les aspects mathématiques de l'Univers. Pour lui, l'Univers est mathématique, et par la même d'une beauté transcendante. Ce qui fut repris par une "designer", qui s'est souvenue avoir vu de jolies courbes mathématiques, dont la pureté et la forme semblait l'avoir impressionnée.

C'est curieux que des professionnels de l'étude du ciel pensent encore que la nature est mathématique. Alors que le monde et les phénomènes qui l'agrémentent se fichent éperdument de nos mathématiques. Ce n'est pas parce q'un modèle mathématique semble décrire ce qui se passe, que les faits sont devenus mathématiques. Une description d'un coucher de Soleil, aussi poétique soit-elle, n'est pas un coucher de Soleil. L'équation de l'ellipse qui décrit l'orbite de la Terre autour du Soleil, n'est pas son orbite. Une règle d'or: ne pas confondre la carte et le territoire.

Notre malheureux physicien, embarqué de force dans des sujets qu'il ne maîtrisait pas (qu'est-ce que la beauté? l'univers est-il de conception "design" ou pas...) s'est senti obligé d'engager un pied hésitant dans les discours à vocabulaire flou qu'adorent les vendeurs de connaissances à pas cher, pour un public peu formé à la sémantique plus précise des domaines scientifiques.

Lier des disciplines bien distinctes, sans formation très soutenue dans les champs de connaissances en question, est un exercice qui risque de se traduire par des pertes de sens complètes, simplement parce que les langages pratiqués peuvent être différents d'une discipline à l'autre.

Au cours de l'émission, j'étais frappé par l'absence totale de lien entre les questions du journaliste (utilisant un vocabulaire qu'il pensait commun à chacun) et les réponses des intervenants, chacun tentant désespérément de revenir en terrain sûr, à partir de quelques mots piochés dans la question.

Voici par exemple, un phrase du journaliste destinée au physicien: "Alors Michel C, n'est-il pas vrai que ce magma qui circule dans l'Univers, c'est du service?...". Alors qu'un interlocuteur classique aurait préféré de loin sauter par la fenêtre plutôt que de répondre à ça, notre scientifique ne se démonte pas, et part sur une longue sentence, probablement inspirée par Maître Yoda sur la "transcendance de la pensée". Sa réponse, dont la clarté n'avait d'égal que celle de la question n'appelle guère qu'une seule réflexion: à question incompréhensible, réponse inaccessible...

Faire de la pluridisciplinarité n'est pas une chose qui s'improvise: ce n'est pas en mettant dans la même pièce des spécialistes de disciplines différentes que des liens se feront forcément, ou qu'une nouvelle compréhension en sortira. La pluridisciplinarité est une nécessité, notamment dans l'enseignement des sciences, mais elle doit être gérée par des personnes qui ont de réelles connaissances dans les divers domaines abordés. Sinon, le risque est de fabriquer du flou et de l'incompréhension à partir de champs de connaissances pourtant indépendamment bien structurés. Les spécialistes doivent s'ouvrir à d'autres domaines, et s'en imprégner avant même de tenter de se lancer dans le pluridisciplinaire. L'enjeu est important, et riche en nouveautés, mais l'investissement doit être à la hauteur, sous peine d'une "babelisation" de la connaissance, qui lui fera perdre tout son sens.

PhB

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