Editorial
Sur Mars? Et alors? A quoi ça sert... | Janvier
2004 |
Spirit, le rover martien d'origine américaine vient de se poser sur Mars. Il nous livre sa toute première image d'horizon glacial et désolé.
Les européens ont chaleureusement salué l'exploit, même si leur propre atterrisseur, Beagle 2, ne répond toujours pas aux appels de la Terre.
A quoi est-ce que ça sert? Pourquoi tout cet argent est-il gaspillé? Pourtant, Mars a la dent dure: depuis les années 60, une trentaine de missions ont été constituées. Une vingtaine d'entre elles ont été des échecs, une douzaine, des réussites. Seules, cinq sondes ont atterri dans de bonnes conditions. Cet argent ne serait-il pas mieux utilisé à des occupations terrestres? Alors qu'au moment où j'écris ces lignes, l'Iran est en deuil de 40000 morts causés par le dernier tremblement de terre...
C'est un discours que l'on entend régulièrement. J'ignore s'il prend de l'ampleur, mais il est bien audible... Comment justifier ces dépenses? Les arguments traditionnels sont ceux-ci:
- Le budget scientifique n'est qu'une goutte d'eau dans l'océan des dépenses d'un gouvernement (à comparer à la Défense par exemple, ou ne serait-ce qu'aux gaspillages de chaque ministère...)
- Même si cet argent n'était pas dépensé par la Science, il serait mal utilisé par les politiques ou les petits tyrans de certains pays "sous-développés".
- C'est un investissement pour l'avenir, une découverte majeure sera peut-être faite un jour sur Mars, ce qui pourra l'ouvrir à la colonisation et limitera la surpopulation terrienne.
Tous ces arguments sont bien sûr recevables. D'après moi, si l'espèce humaine se contentait de se replier sur elle-même en ne s'occupant que d'elle-même, elle aurait à peine le droit de se qualifier "d'humanité". Les pays prospères, où l'argent ne manque pas, possèdent tous une population de gens malheureux, sans travail, sans ressources. Et ce malgré la plus ou moins bonne volonté du gouvernement du pays en question. C'est la curiosité, la quête de la connaissance qui sont les seuls moteurs valables d'une civilisation digne de ce nom. Le but n'est pas de conduire à une accumulation égoïste de savoirs, mais au contraire d'en faire bénéficier le plus grand nombre, tant pour la culture pure, que par les retombées bénéfiques que ces savoirs pourraient générer.
Un monde harmonieux vise à un meilleur partage des richesses. Celles-ci ne sont pas que financières ou alimentaires. Il en est également une de particulièrement impalpable mais qui confère toute son essence à l'être humain: la capacité de s'étonner et de chercher à comprendre le monde qui l'entoure. Cesser de visiter le système solaire ne serait qu'une preuve de la tendance de certains à vouloir museler la curiosité des Hommes...
PhB
Depuis l'écriture de cette chronique, j'ai reçu une réaction qui me semble pertinente, et qui a l'avantage de traiter le problème sous un jour plus humaniste. Voyez plutôt:
On ne va pas sur Mars aujourd’hui comme l’homme des cavernes quittait son clan pour découvrir d’autres territoires. Bien sûr cela nous émeut lorsque l’espèce humaine s’aventure loin sur Terre ou dans le système solaire mais depuis longtemps déjà, difficile vraiment d’y aller en toute innocence. Le scientifique ne peut pas ignorer les autres : les hégémonies politiques qui se trament derrière, les enjeux économiques plus ou moins honorables. Cela gâche toujours un peu la promenade (et par chance, cette fois, pas de peuples à asservir).
Cela nous émeut aussi de voir les capacités techniques de l’homme évoluer toujours vers le plus difficile. Aucun doute que cela génère des avancées et des prouesses qui sont, par elles-mêmes, remarquables et sources d’enrichissement culturel.
Pour des retombées globalement bénéfiques à l’homme ? là, peut-on y croire vraiment ? La Science et les techniques ne vont pas générer du mieux être à elles seules ou alors à une minorité de plus en plus restreinte. Il y manque justement cette part d’"humanité" qui saurait respecter la planète et ceux qui y vivent et que nous n’avons pas su inventer encore pour qu’effectivement le bénéfice soit global.
C’est peut-être cela qui reste à découvrir. Pas besoin d’aller loin puisqu’il suffirait de plonger au fond de notre " humanité" …mais c’est probablement une aventure hautement périlleuse puisqu’elle n’est pas tentée. Envisagée seulement les soirs où on "refait le monde" et vite classée comme utopique. Le contraire de se replier sur soi-même, pourtant.
Ne serait-il alors pas encore plus utopique d'espérer trouver les solutions sur une autre planète? Pour mieux comprendre la nôtre? il semble que l’on comprend déjà pas mal de choses et que l’on ne remédie pas aux problèmes. Pour pallier un jour à la surpopulation? plus compliqué que d’y réfléchir sur Terre, non?Alors, aller sur Mars?
"La capacité de s’étonner et de chercher à comprendre le monde qui l’entoure"… oui, cela semble être un éternel moteur de l’espèce humaine …
"Inévitable désir de connaissance."
Pour moi, c’est la seule raison "noble" d’aller voir là-bas. Et puis, rien à faire, c’est beau.
Le reste me semble un leurre : la Science ne résoudra rien à elle seule et aller sur Mars risque bien d’être encore une fuite pour ne pas résoudre les problèmes de la Terre et un prétexte pour servir d’autres intérêts qui ne visent pas nécessairement au bien commun.FW