Editorial
Est-ce la fin des légendes? |
Mai 2005 |
Les lieux d’Armorique que j’apprécie sont légions. Mais il en est un à qui je prête un statut tout particulier. Je ne sais pas si vous connaissez la forêt de Paimpont, mais vous avez sûrement entendu parler de la forêt de Brocéliande. Mais si... celle de Niniane (que l’on nomme aujourd’hui Viviane), celle de Lancelot et d’Yvain, dignes chevaliers d’Arthur. Et aussi de… Merlin, le Mage.
Un Mage est un Magicien. Attention, pas un illusionniste, pas
un empalmeur de pièces de monnaie, ni un scieur de demoiselles dans une boîte.
Non, rien de tout ça. Merlin ne joue pas avec le naturel, mais avec le
surnaturel. Celui-ci possède aussi ses règles, qui, comme celles de la physique
de la nature, permettent à l’initié d’en scruter et comprendre sa structure.
En occident, la religion perd ses sympathisants petit à
petit. Probablement parce qu’elle ne parvient pas à résoudre les problèmes bien
matérialistes du commun des mortels, les seuls qui importent, c’est bien connu.
Les miracles se font rares.
Il y a une vingtaine d’années, les lieux mythiques de
Brocéliande étaient fort discrets. La fontaine de Barenton, le tombeau de Merlin
(Tsss… alors que tout le monde sait que Niniane le retient prisonnier dans une
prison d’air…) ou le Val sans Retour n’étaient visités que par bien peu de
monde.
Mais on pourrait croire que les rituels, les accessoires et
le dogmatisme associés au fait religieux sont en train de se transférer dans le
monde de l’imaginaire celtique.
Ainsi, le « tombeau de Merlin » prend des allures de
corbeille à papier : Chacun a forcément un souhait à demander au Magicien, un
permis de conduire, un examen ou un regard de sa belle, qui se trouve gribouillé
sur un petit bout d’emballage de tablette de chocolat… Les cierges dans les
églises sont démodés, Merlin, lui au moins est un professionnel du miracle.
Il vous sera difficile d’accéder à la fontaine de Barenton,
qui fut le théâtre des exploits d’Yvain, le chevalier au lion, sans faire la
queue derrière un bus de scolaires ou du troisième âge, si encore vous parvenez
à échapper à la glose d’un éminent spécialiste de l’imaginaire Arthurien. Et on
trouve même des pièces de monnaie dans le fond du bassin, comme dans une
vulgaire fontaine italienne.
Jusqu’au majestueux Hêtre de Pontus, qui se voit
amoureusement enjolivé de bouquets de fleurs de jardins, alors que le Val
sans retour n’est pas en reste, il a droit à son tronc d’arbre peint en doré
! Là, ne me dites pas que l’office de tourisme, le syndicat intercommunal ou
un autre organisme du même genre n’y sont pour rien… |
Le tourisme et le mysticisme à deux sous oeuvrent de concert
en dévoilant sans pudeur ni remord des lieux qui étaient réellement chargés
d’émotion et de mystère.
J’ai beau savoir que la Tombe de Merlin n’est probablement
qu’un reste d’allée couverte, bien abîmée d’ailleurs. Que la fontaine de la
Haute Forêt n’est qu’une jolie source, qui « sourit » parfois au visiteur
(dégazage des feuilles en décomposition…), même si elle fût probablement le
siège de rituels très anciens, datant de la grande époque du mégalithisme. Toute
cette récupération touristique de gogos (ou création artificielle de gogos, faut
voir…) me chagrine beaucoup.
Tous ces lieux ont droit à une véritable découverte de ses
visiteurs, sans que cela soit appuyé par de quelconques « panneaux de
signalisation » à la mode télévisuelle : « souriez, applaudissez, méditez, ceci
est un lieu mystique… »
Vous l’aurez compris, la Science n’a pas grand-chose à voir
là-dedans. Elle peut aider à comprendre, mais n’ôte en rien tous les charmes de
ces hauts lieux légendaires. Et d’ailleurs, ceux qui fuient les Sciences et
maintenant les religions, sont peut-être bien les mêmes qui se réfugient dans ce
nouveau mysticisme de pacotille, qui empêche les gens de penser par eux-mêmes.
PhB