Editorial
Velikowski, un précurseur?... | Juin 2006 |
Immanuel Velikowsky a vu son célèbre livre "Mondes en collisions" paraître en 1950. Une nouvelle édition vient d'être publiée il y a quelques temps (la mienne est datée de mai 2005), dont voici le descriptif: "Edition enrichie d'une biographie de Velikovsky, reconnu maintenant comme l'un des plus grands génies du XXe siècle, de l'histoire du livre et de la liste de ses découvertes confirmées depuis par sondes spatiales."
L'auteur, psychiatre de formation, extrêmement cultivé, nous offre là une description de l'évolution tardive du système solaire tout à fait surprenante: Pour faire simple, la planète Vénus naît au coeur même de Jupiter, en est arrachée et commence à cheminer dans le système solaire. En chemin, elle bouleverse Mars et la Terre, puis finit son trajet à l'emplacement actuellement observé. Ses pérégrinations au voisinage de la Terre ont provoqué terreurs et dévastations, dont les traces sont aujourd'hui encore clairement visibles, selon son auteur.
Quel est le raisonnement? Velikowsky base son travail sur une étude approfondie des mythes et des légendes des diverses civilisations qui se sont succédées sur notre planète. Il en ressort des similitudes de descriptions de catastrophes qui se seraient déroulées ces derniers milliers d'années: pluies de bitume, obscurcissements du ciel, surgissements de montagnes, animaux fabuleux traversant le ciel... Le principe de base est simple: ces évènements doivent être considérés comme des réalités, et expliqués non pas par ce que l'on connaît de la physique actuelle, mais par une physique inventée spécialement pour l'occasion. Quand le Soleil s'immobilise à Jéricho, c'est que la Terre a réellement interrompu sa rotation (sans que Josué et son armée ne soient affectés par l'inertie qui nous fait traverser le pare-brise quand notre voiture s'arrête trop brutalement...), sous l'action de Vénus passant à proximité. Puis la Terre repart (comment?...)
Bien sûr, les forces de gravitation sont bien incapables de réaliser ces prodiges, tout comme l'extraction de Vénus depuis la masse de Jupiter, contrairement à ce que pense I.V. D'autant plus que la composition chimique de "l'étoile de berger", aujourd'hui bien connue, est bien loin de celle de Jupiter, ou encore de celle d'une comète, puisqu'elle est considérée dans l'ouvrage comme telle.
Ces catastrophes sont censées expliquer les accumulations de fossiles présents dans certaines zones. Il y a en effet des gisements fossilifères qui peuvent avoir été causés par des catastrophes, mais locales et nullement généralisées à l'ensemble de la planète. Et d'autres se sont formés en des milliers ou des millions d'années, de façon parfaitement graduelle.
C'est vrai que l'on trouve du charbon en antarctique et que le milieu de l'océan atlantique est parcouru par une immense faille, mais cela n'a rien a voir avec un choc capable de basculer l'axe du monde: la tectonique des plaques, largement vérifiée à l'heure actuelle s'en débrouille très bien. Curieusement, Velikowsky néglige totalement ce phénomène, pourtant imaginé 40 ans plus tôt par Wegener.
Faut-il pour cela jeter l'anathème sur Velikowsky? Lors de la parution de bouquin, chez les scientifiques "officiels", ce fût la curée. Bien sûr, ils avaient des raisons. Mais le seul effet de leur furie fût de transformer l'écrivain en martyre d'une science dogmatique, rigidifiée par ses certitudes. Velikowsky devenait Giordano Bruno, brûlé pour avoir affirmé que les "mondes" sont innombrables, ou Galilée pour avoir voulu mettre le Soleil au centre de l'Univers au lieu de la Terre. Pour un public qui ne maîtrise pas forcément les subtilités de la mécanique céleste ni les notions d'interactions électromagnétiques, les explications de notre écrivain "visionnaire" paraissent tout aussi plausibles que celles de la communauté scientifique établie.
En fait, c'est plutôt à l'éditeur que j'en veux: Affirmer que les prédictions d'Immanuel Velikowsky, jadis tournées en ridicule, sont actuellement vérifiées par l'exploration spatiale moderne est un mensonge pratiqué en toute connaissance de cause, alors que l'auteur du livre en question, lui, ne cherchait qu'à donner une explication, coûte que coûte, aux mythologies du passé. Pour cela, que peut-on lui reprocher? une méconnaissances des comportements observés de la nature, une trop grande confiance dans des textes douteux, romancés et enjolivés des siècles passés (le petit chaperon rouge n'implique pas nécessairement que des loups ont été suffisamment intelligents à une époque lointaine, pour être capables de prendre la place d'une grand mère...) et une trop grande propension au lyrisme... Quoiqu'il soit, son livre est agréable à lire et plutôt bien tourné, mais garder un esprit ouvert en le parcourant semble une nécessité...
Puisque l'introduction du bouquin fait l'apologie des "prédictions" de son auteur, ce peut être un juste rééquilibrage que de donner une liste de "ratés":
Non, les cratères de la Lune n'ont pas été causés par des effondrements de lac de laves souterrains. L'atmosphère de Vénus n'est pas pleine d'hydrocarbures (elle ne contient pas de pétrole) L'atome n'est pas un système solaire en miniature, et donc, il est inutile d'imaginer des sauts de planètes d'orbite en orbite comme pourraient le faire de électrons autour d'un noyau Si les calendriers babyloniens avaient une année de 360 jours, c'est plus pour des raisons d'imprécisions de mesures que parce que c'était une réalité. Les mammouths n'ont pas été tués instantanément par asphyxie ou électrocution, mais leur extinction s'est étendue sur au moins 8000 ans Vénus n'est pas très chaude à cause de la perte d'énergie cinétique due à son long voyage à travers le système solaire, transformée en chaleur, mais à cause de l'effet de serre. Le ciel de Mars n'est pas noir, mais va du rose à l'ocre. Une décharge électrique ne peut pas causer de fissions d'atomes... Les planètes sont globalement électriquement neutres, c'est donc bien la force de gravitation qui agit de façon prépondérante sur les mouvements dans notre systèmes solaire (sauf dans le cas d'objets particulièrement légers: poussières ou fragments cométaires) Velikowsky a visiblement pris ses désirs pour des réalités. Il a été jusqu'à réinventer une nouvelle physique capable d'expliquer les incohérences de ses suppositions. Comme tous les inventeurs de modèles scientifiques, il a été passé au feu du principe de réfutation. Il n'en reste plus qu'un livre pas désagréable à lire (si on aime le style lyrique), mais malheureusement pas assez cohérent pour en faire un bon ouvrage de science-fiction.
Comme disait S.J. Gould, il ne suffit pas d'être persécuté pour devenir Galilée, encore faut-il avoir raison.
PhB