Editorial
A quoi sert la Science? |
Juillet-Août 2003 |
"La République n'a pas besoin de savants..." Cette citation de l'époque révolutionnaire a marqué les esprits. Elle est souvent montrée en exemple révélateur des courtes vues de certains politiciens de l'époque vis à vis de la recherche scientifique. Mais qu'en est-il aujourd'hui? Si la recherche en médecine et biologie a une bonne réputation d'utilité, les recherches en Physique fondamentale par exemple, ou en Astronomie ont-elles le même prestige?
Aux yeux du public, femmes et hommes politiques y compris, la recherche se doit d'avoir des retombées immédiates: la découverte d'un nouveau vaccin, ou l'identification d'un virus nous touche de près: chacun peut se trouver concerné par ces avancées, presque du jour au lendemain. Il suffit d'entendre, les journalistes décrire le sujet du dernier prix Nobel de biologie, avec force détails, qui donnent à penser que chacun d'entre nous est familier de l'ADN ou des thérapies géniques. A côté de ça, le Nobel de Physique est toujours un sujet incompréhensible et immatériel, on croirait presque qu'il ne s'agit que d'un amusement d'étudiant légèrement oisif... Un neutrino, ça ne sert à rien. Une grosse boîte qui sert à voir des particules se rentrer dedans, c'est vraiment juste pour jouer...
En effet, il est bien difficile à un de ces chercheurs de justifier la construction d'une sonde interplanétaire, ou d'un accélérateur de particules, ou encore le financement d'un microscope à effet tunnel.
Je ne suis pas sûr qu'il faille de force trouver une justification en terme de retombée à court ou moyen terme à la recherche fondamentale. On voit trop de malheureux scientifiques s'acharner à trouver une utilisation pratique aux résultats de leurs travaux. S'il y en a une, elle sera forcément découverte un jour. Galvani n'imaginait pas un instant ce à quoi serviraient ses observations de muscles de grenouilles tressautant au contact de couples de métaux (invention ultérieure de la pile électrique...) Pierre Curie n'était pas en train de fabriquer une montre lorsqu'il s'est aperçu qu'en déformant un cristal de quartz on produit un courant, Galilée puis Newton ne cherchaient pas à construire des vaisseaux spatiaux lorsqu'ils travaillaient à mieux appréhender la nature de la gravitation, c'est pourtant leurs interprétations qui rendront les voyages interplanétaires ou les satellites de télécommunication réalisables... Les exemples sont innombrables: la recherche fondamentale vise à mieux comprendre et prévoir le comportement de la nature. Elle n'a pas pour but de construire des grille-pains plus performants ou des épis de blé plus gros, activités tout à fait louables par ailleurs. Planck, Bohr et d'autres n'ont inventé ni l'horloge atomique ni le LASER et ses applications industrielles ou thérapeutiques, mais ils ont compris les principes qui par extension allaient rendre possibles ces inventions.
Bien sûr, la recherche est un formidable stimulateur d'applications, c'est une mise en culture de terre vierges d'où émergent un jour ou l'autre des technologies nouvelles. Il faut voir cette recherche fondamentale comme une exploratrice des secrets de la nature. Certains d'entre eux nous seront révélés par le plus grand des hasards, simplement parce qu'une équipe aura "joué" un jour à étudier le comportement d'atomes dans des conditions jamais essayées jusqu'alors, ou parce qu'une sonde se sera posée juste au bon endroit de la surface de Mars... L'être humain est naturellement curieux et fouineur, la recherche est presque un acte artistique dans le sens où elle ne vise pas de but autre, à priori, que la satisfaction de l'esprit à comprendre l'Univers, tout comme un peintre ou un poète qui décrit, "modélise" dirait un scientifique, son Univers à lui.
Sans recherche, sans brassage d'idées, c'est toute idée de progrès technique qu'il faut abandonner, alors que nous en sommes au point crucial où l'espèce humaine doit maîtriser des énergies propres et développer des industries non destructrices d'environnement. Ce n'est plus uniquement une question d'accumulation de connaissances pour "le plaisir de l'art", mais de plus en plus une assurance pour notre avenir, celui de l'espèce et celui de notre monde.
PhB